Un funeste anniversaire

Comment raconter l’horreur ? Cela fait maintenant près d’un an que nous avons lancé Histoire du Congo. Durant ce temps nous nous sommes attachés à réunir nos compatriotes, mais pas que, autour d’un projet centré sur une histoire complexe et parsemée de moments aussi heureux que difficiles. Du royaume Kongo aux chefferies Ngala, la terre de nos ancêtres est celle de siècles de chemins de vies dont nous sommes les héritiers. Ce n’est pas une mince affaire que de conter un objet aussi large que l’Histoire d’un pays dont la place est aussi grande dans le cœur de beaucoup. Aujourd’hui c’est la première fois que nous écrivons sur la guerre du 5 juin. Cette date est synonyme pour beaucoup de Congolais, de malheur. Je m’inclus dedans. Elle constitue l’éclatement, dans sa plus horrible forme, du mal être de notre nation. Le tribalisme, la corruption, le néo-colonialisme et tout ce qui s’y rapporte ont été les forces en présence pendant ces quatre mois durant lesquels 400 000 congolais, soit près de 10 % de la population, ont perdu la vie. Des frères, des mères, des sœurs, des pères. Comment vivre après ? Comment oublier les viols, les massacres ? Comment pardonner ? Comment expliquer ? L’Etat ne s’est pas posé ces questions. La population, traumatisée par un deuil si lourd, fut forcée de porter ce poids toute seule. Il serait facile de raconter cette guerre de manière informative. En ne décrivant que les étapes stratégiques d’un conflit militaire de plus, de donner des noms de généraux, de bataillons, de parler en détail des Cobras, Zoulous ou autres Ninjas. Tout ça ne serait pas suffisant pour rendre compte de la réalité de ce que fut cette guerre.

Nous sommes le produit de l’histoire coloniale, nos frontières ont été dessinées sur une carte par des hommes blancs pour qui nous étions des sauvages. Ce que nous considérons comme notre pays, n’était qu’un élément en plus de l’empire d’une nation qui jusqu’à aujourd’hui joue un rôle dans la trajectoire de notre histoire. Notre identité s’est forgée, tant bien que mal, dans la résilience face à la douleur. Des résistances Mbochis aux régimes concessionnaires à l’action d’André Matsoua et de l’Amicale nous avons résisté afin de reprendre nos droits sur ce qui nous était de plus cher : notre terre. C’est pour cette simple demande, celle de sa liberté, que Boueta Mbongo fut décapité et jeté à l’eau par les colonisateurs. L’indépendance ne s’est pas acquise en un jour. Elle fut le fruit d’un long combat. Mais, c’est un an avant ce 15 août que nous célébrons avec ferveur, nous avions déjà les prémices de ce qui pouvait causer notre perte en tant que nation. Comment parler d’unité à un peuple aussi divisé ? La république, ce beau concept, nous a été imposé. C’est par la force de l’histoire que nous formons un nous ; fragile qui plus est. Notre histoire est politique. Jusqu’au 5 juin nous avions connus des coups d’états, des révolutions et même des élections démocratiques mais jamais la guerre. Les armes ont toujours été présentes, mais leurs balles n’avaient jamais autant retentis. En 1991, nous voyons notre monde changer. Plus de parti unique, le mur s’était écroulé, un nouvel ordre mondial se mettait en place. Le discours de la Baule avait été prononcé, l’heure était au changement.

La conférence nationale était censée être le requiem de l’ancien monde, une occasion pour les opposants et pontes du régime précédent de mettre au clair les pages les plus sombres de notre histoire, devant des congolais soucieux de savoir quelle direction allait prendre leurs vies. Mais tout ça malheureusement ne fut que littérature. Comme à plusieurs reprises au cours de notre histoire, nous fûmes prisonniers de la volonté d’hommes pour qui tous les moyens sont bons afin de garder le pouvoir et de maintenir le contrôle sur un sous-sol dont la richesse censée nous assurer la pérennité, cause bien trop souvent notre malheur. Ce qui s’annonçait être un renouveau ne fut que le commencement d’une période encore plus difficile que toutes celles que nous avions traversé jusqu’alors. Au travers de leurs diverses milices, remplies en partie par la jeunesse désœuvrée des quatre coins d’un Congo qu’ils ont abandonnés, ces hommes ont instrumentalisés des différences ethniques, qui dans un autre monde auraient pu constituer le noyau dur de l’identité d’une nation culturellement riche. En digne héritier de l’empire, les élites de l’État post-colonial qui est le nôtre, n’ont à cœur que le profit. C’est ainsi que durant cinq années, de 1992 à 1997, les alliances et les trahisons se sont succédé pendant que la population civile subissait les conséquences de la gestion guerrière d’un État. Pendant que le peuple se voit forcé de se diviser pour savoir qui du nord ou du sud triomphera, les tenants de ces discours directs ou indirects, se partagent les parts d’un gâteau, dont le congolais lambda, d’où qu’il soit, où qu’il soit, ne connait même pas l’odeur.

C’est dans ce contexte que la date fatidique du 5 juin arrive. Il existe aujourd’hui une statue d’un char à Mpila sur laquelle on peut lire « plus jamais ça ». Nous la connaissons tous, nous savons ce qu’elle évoque même si les interprétations personnelles peuvent varier. Le souvenir d’un proche disparu, d’une longue marche dans la forêt, du silence de la traversée ou d’une douleur auquel on ne veut tout simplement plus penser tant la peine est grande. Personne ne veut ouvrir la boîte de Pandore. Comme vous avez pu le constater je me pose beaucoup de question car en vérité, je ne sais pas comment raconter l’horreur. « Plus jamais ça » n’est à ce jour le seul monument consacré à la guerre civile au Congo. Cela veut tout dire. Il témoigne d’une volonté de la part des responsables de mettre sous terre ces quatre mois alors que certains n’ont même pas eu l’opportunité d’enterrer leurs morts. Pourtant ce monument porte une charge symbolique forte. Il est là pour nous rappeler le prix de la paix. Mais quelle paix ? Une paix sans liberté ? Une paix qui ne tient que par le bout du canon et du fusil ? Une paix qui n’est que passagère et dont l’accalmie n’est que d’apparence ? Les traumatismes sont toujours présents parce que les conditions qui ont permis leurs récurrences sont toujours présentes. Ce qui est difficile lorsque l’on aborde la guerre du 5 juin, c’est de se rendre compte que nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau conflit du genre. Aucun effort substantiel n’a été fait de la part des pouvoirs publics pour résorber la fracture nationale. Malheureusement ce n’est pas étonnant. La gabegie pousse certains à ne voir que leur ventre, pendant que d’autres peinent à remplir le leur.

À tous les congolais qui me lisent je dis ceci ; ce pays est le vôtre, cette date, comme celle de l’indépendance ne doit jamais vous quitter. Je ne prétends pas prévoir l’avenir ou résoudre des problèmes antérieurs à la possibilité même de mon existence. Ce que je sais en revanche, c’est que comme beaucoup d’autres, des millions même, j’aime ce pays. Le devoir de mémoire est l’un des plus important pour un peuple. C’est pour cela qu’au mois d’août 2019 nous avons créé Histoire du Congo. La meilleure manière de rendre hommage à ces masses humaines disparues est de ne jamais oublier leurs noms, ceux des responsables de cette tragédie nationale et les raisons qui ont amenés l’horreur au cœur de nos foyers. En s’attachant aux faits, il incombe aux congolais de faire de la vérité l’étendard d’un pays mainte fois brimé à l’histoire complexe et trop souvent instrumentalisé. À ceux pour qui la douleur est trop lourde, pleurez autant de fois qu’il le faut. Car c’est surtout ça le 5 juin, le début d’une longue perte ; celles de proches mais aussi, d’un idéal et de valeurs. Pour que nous soyons debout fièrement, souvenons-nous. Pour que nous proclamions l’union de notre nation, souvenons-nous. Pour que nous puissions oublier ce qui nous divise, souvenons-nous. Pour que nous soyons plus unis que jamais, souvenons-nous. Pour que nous puissions vivre notre devise, souvenons-nous. Souvenons-nous, encore et toujours. « Un seul peuple, une seule âme », le chemin reste à faire mais la route est bel et bien là.

Publié par Yoka Kani

Passionnément congolais

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